La guerre cognitive joue avec nos nerfs

Lorsqu’un conflit armé est déclenché, avant même le premier mort, la première explosion, la toute première victime est la vérité.

Quand Vladimir Poutine parle de « dénazification » de l’Ukraine, on a d’emblée compris que la guerre était lancée aussi sur un plan parallèle. Celui des idées. Et depuis plus d’un mois nous subissons collectivement la guerre de l’information, de l’intox et des mensonges à grande échelle, au risque de déclencher une troisième guerre mondiale, exposant toute l’Europe au péril nucléaire. Pour diffuser les idées, en effet, quel meilleur support que l’image, la vidéo, l’écrit, l’oral ? Et quel meilleur media qu’internet, le réseau mondial ? Accessible à tous, à grande échelle, en tout lieu et à toute heure. Quel meilleur rapport qualité prix, en effet, pour une campagne massive de désinformation ? Il y a là de quoi faire rêver n’importe quel dictateur ou terroriste en mal de notoriété… En jouant de nos émotions comme d’un mauvais instrument, la guerre sur le terrain, ils l’ont déjà à moitié gagnée.

Vous l’aurez compris, le cocktail est complet et explosif. Tous les ingrédients sont là : mensonge à grande échelle, volonté de destruction… et la dignité humaine, bafouée.

Campagnes de désinformation

Ces campagnes de désinformation visent à s’approprier à nos dépends, notre bien le plus précieux pour un stratège : notre capacité à croire et accepter comme vrai ce qu’on nous présente comme choquant et qui fait appel à notre sentiment d’injustice. Notre bien le plus précieux pour un stratège, c’est tout simplement notre cerveau ! Et la façon dont nous vivons, ressentons et sommes capables de croire ce dont nous pensons être témoins… et qui vient se substituer, sans que nous nous en apercevions,  à ce qui nous semblait d’abord, évident. Or, qu’y a-t-il de plus simple que de prêcher un convaincu ?

Ces infox sont fondées sur notre capacité, nécessairement déviante, à abandonner nos points de repère pourtant les plus stables, pour croire ce qui nous choque : on appelle cela le biais cognitif. Il joue sur nos émotions, nos valeurs et le sentiment d’injustice. En jouant sur la répétition à grande échelle, il vient peu à peu s’approprier nos cerveaux, nos modes de pensée et faire de nous les agents inconscients de ceux qui ont un intérêt à s’approprier notre capacité d’indignation, en la détournant au profit de leur cause. Nous devenons ainsi sans nous en apercevoir, les meilleurs amis… de l’ennemi !

Tout ceci en soi n’est pas nouveau, mais ce qui par contre est nouveau, c’est que maintenant ces méthodologies sont codifiées et déployées à grande échelle, y compris par les armées des grandes puissances. On appelle cela la guerre cognitive ou cognitive warfare en anglais.  Et les premières victimes, c’est vous, c’est moi, ce sont les internautes ! La guerre cognitive consiste à pénétrer le cerveau de l’adversaire pour influencer sa prise de décision, créer de la confusion et in fine paralyser son action afin d’emporter la victoire.

Guerre cognitive : un concept documenté et codifié

Le 21 juin 2021, le hub de l’innovation de l’OTAN, avec le soutien de l’état major des armées, organisait à Bordeaux, la première réunion scientifique officielle consacrée au cognitive warfare. Dans le monde qui se dessine, nous dit froidement le général Philippe Montocchio, la guerre de la cognition et de l’information « vont probablement devenir des modes d’action permanents, se suffisant à eux-mêmes, pour obtenir dans la durée un état final recherché : la destabilisation d’un leader politique, d’une force ennemie, d’un pays,… ou d’une Alliance ».

Il s’agit donc de manipuler un individu ou un groupe d’individus pour en tirer un avantage stratégique ou tactique. Dans sa codification, la guerre cognitive intègre un point essentiel : les neurosciences qui étudient la façon dont le cerveau intègre l’information. La manipulation des populations devient à partir de là, une évidence. Pour l’armée, il s’agit tout simplement d’allier harmonieusement le jugement humain et les technologies numériques, pour être en mesure de surprendre sans être surpris. « La France (je cite) doit ainsi continuer à approfondir la question avec les Alliés, notamment en participant activement à ces travaux de l’OTAN ».

Le cyber espace est un espace stratégique pour les armées. On observe une très grande porosité entre monde militaire et monde civil, allant de la guerre de l’information menée à grande échelle, notamment sur les réseaux sociaux, à des opérations  d’influence psychologique. Et, en ces temps troubles, la liste des perturbations engendrées par la cyberguerre est loin d’être exhaustive. On parle entre autres de :

  • Cyber attaques visant les états majors
  • Atteintes à la souveraineté numérique
  • Atteinte à la perception des informations
  • Atteinte globale des fonctions cognitives par la manipulation
  • Manipulation des esprits et populations par la peur
  • Usage de filtres subliminaux
  • Infiltration dans les campagnes électorales
  • Guerre psychologique et guerre électronique

Pour les armées, il s’agit de rien de moins que de remodeler la conscience des peuples. Et dans la codification de sa stratégie d’attaque, la Russie a, de longue date choisi faire précéder toute attaque militaire d’une opération massive de cyber attaques et de guerre cognitive… dans le but déstabiliser à la fois l’ennemi et son peuple.

Développer son esprit critique

Alors comment s’en protéger pour préserver à la fois la paix et la dignité humaine ? Il n’y a qu’une seule solution : le développement de l’esprit critique à grande échelle. C’est un travail qui passe par la raison, mais surtout par l’introspection et que personne ne fera à votre place.

Il n’y a pas de recette toute faite. Car les émotions atteignent notre corps et peuvent rendre malade, il faut en être conscients. Et surtout, ne pas tenir pour vrai systématiquement ce qui peut nous sembler choquant. Le développement de l’esprit critique passe par la connaissance et la vérification systématique des sources d’information. C’est un travail difficile et de chaque instant, mais salutaire, tant sur le plan individuel que collectif, en cette période trouble.

Marianne Dabbadie