Dans l’alchimie délicate qui mêle l’humain à la machine, une question fondamentale s’élève : celle de l’engagement éthique dans le développement des algorithmes. La chronique des erreurs techniques, telle l’incident de reconnaissance faciale de Google en 2015, révèle un abîme bien plus profond : le spectre de l’oubli moral. Ces bévues ne sont pas seulement des ratés techniques ; elles sont le miroir d’une potentialité de discrimination systémique. Le problème réside non dans l’intention mais dans l’omission – le défaut d’inclure, de considérer, d’anticiper.
Le prisme déformant des données
Prenons l’exemple de la voix féminine inaudible aux oreilles des objets connectés. C’est là une métaphore, involontaire certes, d’une forme de mutisme imposé par l’historique des données. Ces discriminations algorithmiques, quand elles ne sont pas volontaires, révèlent une ignorance qui n’est plus acceptable. Dans ce contexte, peut-on vraiment parler de neutralité technologique ?
Éthique et algorithmes : Un duo incontournable
La question est donc moins technique que philosophique : comment faire en sorte que l’IA respecte et reflète la diversité et la richesse humaine ? Car le risque est grand de voir se creuser un clivage dans une société déjà fragmentée. La réponse, c’est l’éthique. Non pas une éthique figée dans le marbre des intentions, mais une éthique évolutive, dynamique, qui s’adapte et anticipe. Une telle vision techno-pragmatique de l’éthique pose toutefois la question de l’universalisme des valeurs humaines et démocratiques.
Ethics by Design et Ethics by Evolution : des conceptions éthiques transversales
Pour renforcer la cohérence, le sens et la confiance dans les IA, l’idée d’un cadre éthique évolutif se fait jour. Concevoir et mettre en œuvre un tel cadre, basé sur des chartes éthiques, est un défi complexe, nécessitant une réflexion approfondie sur la mise en application, la temporalité et les mesures pratiques.
Il convient dès lors de s’interroger sur la pertinence des données, la non-discrimination des algorithmes, le respect du consentement et des libertés fondamentales. Ces questions ne doivent pas surgir après coup, mais bien être intégrées dès la conception non seulement en amont, mais tout au long du cycle de vie des IA.
L’approche « Ethics by Evolution » vise à intégrer une éthique adaptable et progressive dans le développement de l’IA. Il devient crucial de développer une régulation éthique qui s’adapte au développement technologique, une sorte de « néo-darwinisme éthique ». Cela signifie élaborer des lignes directrices pragmatiques qui évoluent en parallèle avec la machine et ses algorithmes, ajustant les normes éthiques en fonction des nouvelles connaissances, des contextes d’utilisation et des impacts environnementaux. C’est un appel à une réglementation flexible qui évolue avec l’IA pour maintenir la confiance et l’alignement avec les valeurs sociétales.
Le design éthique invite à une réflexion approfondie sur l’impact moral du design, particulièrement dans le domaine numérique. Alors que la morale offre une perspective universelle, l’éthique guide les actions selon le contexte. Historiquement présente, l’association entre éthique et design devient impérative avec l’avènement du numérique pour veiller à ce que les avancées technologiques respectent le bien commun et le bien-être collectif.
La responsabilité éthique : Un fardeau partagé
Mais alors, à qui incombe la responsabilité de ces algorithmes ? Est-ce le data scientist, le chef d’entreprise, ou l’utilisateur final ? Il semblerait que la réponse se trouve dans une responsabilité partagée et un contrôle démocratique, plutôt que dans une surveillance technologique accrue.
La sensibilisation : premier pas vers une éthique universelle ?
La formation éthique des développeurs, des chefs d’entreprise, et des dirigeants est essentielle. Elle doit être universelle pour éviter le piège du relativisme culturel. En France, peut-être plus qu’ailleurs, cette éducation commence dès le lycée avec la philosophie. Mais au-delà des frontières, comment veiller à ce que les données ne soient pas mal utilisées ? N’oublions pas que pour préparer le projet de loi IA Act pour une Intelligence Artificielle éthique et responsable, la Commission Européenne a réuni pendant plusieurs années, un panel de 52 experts interdisciplinaires et de tous horizons géographiques, dans le but de donner corps à cette mosaïque vivante des cultures et des questionnements, afin de se poser les bonnes questions et bâtir une éthique commune au sein de l’Union.
Prudence et prospective
Finalement, le cœur du sujet n’est pas de juger si l’IA est bonne ou mauvaise. Il s’agit de comprendre qui l’utilise, comment et pourquoi. Il s’agit de maîtriser l’outil, de reconnaître son potentiel tout en anticipant ses dérives. La véritable question est de savoir si nous sommes prêts à faire face aux conséquences de notre propre création, si nous sommes capables de conceptualiser et mettre en œuvre une éthique universelle à l’ère de l’IA.
Questions à se poser pour poursuivre pour le débat :
- Comment assurer que les valeurs éthiques restent au cœur des avancées technologiques ?
- Quelle forme pourrait prendre une gouvernance mondiale de l’IA qui soit à la fois équitable et efficace ?
- Dans quelle mesure la sensibilisation et la formation peuvent-elles être universelles face à la diversité des cultures et des systèmes juridiques ?