Numérique : quelle menace pour nos libertés ?

À l’aube d’une ère où le digital et l’humain se confondent, nos libertés démocratiques semblent plus fragiles que jamais. Chaque clic, chaque partage, chaque interaction en ligne est un écho des tensions qui alimentent un débat plus vaste : la technologie est-elle l’alliée ou l’ennemie de notre liberté ?

Les dangers qui planent sur nos libertés à l’ère digitale sont multiples et omniprésents, orchestrés par une combinaison complexe de biais cognitifs, de manipulation par des puissances étrangères et d’une utilisation irresponsable des technologies. Nos biais cognitifs, intrinsèquement humains, sont exacerbés et exploités. Les puissances étrangères comme la Russie et la Chine manipulent ces failles, s’insinuant insidieusement dans l’opinion publique mondiale.

La guerre cognitive moderne ne se joue pas avec des armes tangibles, mais avec des informations et des perceptions. Les réseaux sociaux, devenus des champs de bataille, voient le déploiement d’armées de bots et de trolls, orchestrés par des puissances étatiques, visant à exploiter nos vulnérabilités cognitives. Leur objectif : transformer subrepticement notre perception, notre réalité et, par extension, le paysage politique et social global, en utilisant nos propres biais contre nous.

Désinformation sur Facebook ou comment l’algorithme exacerbe la désinformation

Armée de documents internes accablants et de son expérience en tant que data scientist chez Facebook, la lanceuse d’alerte Frances Haugen a révélé comment la plateforme exacerbait la désinformation, le contenu haineux et la polarisation pour stimuler l’engagement. Elle a traversé des frontières, pour partager son témoignage avec des gouvernements et des organisations internationales, accentuant ainsi l’urgence d’une action globale.

L’exacerbation du contenu haineux et de la polarisation, est stimulée par la quête incessante de l’engagement des utilisateur. Cette révélation a éveillé la conscience globale sur la nécessité de réguler et de rendre transparentes les opérations des géants des médias sociaux.

Frances Haugen, en dévoilant les entrailles de Facebook, a révélé un univers où le profit règne en maître, et où la sécurité et la démocratie sont reléguées au second plan. Une réalité où l’engagement utilisateur justifie des compromis éthiques, dressant ainsi un paysage sombre et inquiétant de la façon dont sont manipulés nos données et nos esprits.

L’acquisition de Twitter par Elon Musk, devenu la plateforme en X, accentue cette inquiétude. La crédibilité se noie dans un flot incessant de désinformation, alimentée par la réduction des garde-fous éthiques et la floraison de contenus sensationnels. L’intégrité et la crédibilité de la plateforme sont en jeu, alors que la recherche de la vérité devient un exercice de plus en plus complexe, voire irréalisable.

Manipulation algorithmique des masses

Nous sommes de facto entrés dans une ère de manipulation algorithmique des masses. Les utilisateurs sont submergés par des contenus qui amplifient la peur, l’angoisse et l’anxiété. Les réseaux sociaux sont devenus des arènes de manipulation, où la rationalité et l’objectivité sont sacrifiées sur l’autel de l’engagement. Ces algorithmes, précis et efficaces, créent un écosystème toxique qui nourrit et amplifie les émotions les plus obscures des utilisateurs, non pour notre bien-être, mais pour la satisfaction d’un appétit corporatif insatiable, au service d’une culture basée sur une recherche incessante de pouvoir et de profits.

Le scandale Cambridge Analytica a révélé la vulnérabilité de nos données personnelles. Cambridge Analytica, cette entreprise de conseil en données a illégalement collecté les données de millions d’utilisateurs de Facebook via une application de quiz, puis utilisé ces informations pour construire des profils psychologiques détaillés et manipuler les opinions publiques lors d’événements politiques majeurs comme l’élection présidentielle américaine de 2016 et le référendum sur le Brexit. La récolte illégale et la manipulation des données ont révélé  une faille béante dans notre monde numérisé. Cela a déclenché une prise de conscience mondiale sur les dangers associés à la gestion irresponsable des données personnelles et a suscité des appels pour une régulation stricte et une responsabilisation accrue des pourvoyeurs de technologies.

Aussi peut-on affirmer au regard d’une actualité sans cesse à charge sur les réseaux sociaux, que le scandale de Cambridge Analytica, n’était pas une anomalie, mais un symptôme. Nos données, reflets numériques de nos vies, sont vulnérables, exposées à des acteurs prêts à les manipuler pour façonner l’opinion publique en faveur des extremismes, et du communautarisme, mettant à mal la notre principe de laïcité et par extension, la trajectoire démocratique.

Dans ce contexte, TikTok émerge non seulement comme un phénomène de divertissement mondial, mais aussi d’influence et de surveillance généralisée, comme un miroir des tensions entre pouvoir, influence mais aussi manipulation dans une société numériquement saturée.

Nous sommes aujourd’hui au carrefour d’une crise de plus en plus profonde et réellement perturbatrice. Les outils conçus pour connecter le monde et démocratiser l’information sont désormais des vecteurs de division. Chaque avancée technologique, si elle n’est pas équilibrée par une responsabilité sociale et éthique, attise les flammes de la désinformation et de la répression.

Face à cet assaut silencieux, une vigilance renouvelée s’impose. Il ne s’agit pas d’une simple confrontation entre l’innovation et la régulation, mais d’un combat pour le maintien des principes démocratiques dans un monde numérisé.

Profilage Numérique : L’ombre de Big Brother

À l’intersection de l’innovation technologique et de la quête insatiable pour la sécurité nationale, un spectre s’installe : celui de la surveillance omniprésente. Dans cet échiquier numérique complexe, chaque individu, chaque citoyen, est réduit à un ensemble de données, un profil algorithmique détaillé, scrupuleusement analysé et catalogué.

Les gouvernements, armés de cette précieuse mine d’informations, se transforment en des entités omniscientes. Chaque tweet, chaque post Facebook, chaque photo Instagram devient un élément d’un puzzle complexe où l’identité numérique se forme. Les algorithmes tissent le récit de nos vies, dévoilant des vérités intimes que nous pensions inaccessibles. La suppression de l’anonymat, qui est pourtant précieux garde-fou de la liberté d’expression, nous guette et l’assemblée prépare des textes de loi de plus en plus liberticides et qui poussent dans le sens de la répression.

Lorsque les dissidents, les activistes, sont réduits au silence, une part essentielle de notre humanité se ternit. La surveillance étatique, sous couvert de sécurité, devient une épée de Damoclès, suspendue au-dessus de la tête de ceux qui osent parler, résister.

L’État, armé des clés de notre intimité digitale, érode les frontières entre le public et le privé. Le micro de votre téléphone, la caméra de votre ordinateur peuvent être activés par la police à votre insu et à distance, sans le garde fou de la justice. Chaque mot, chaque geste, chaque pensée devient une cible potentielle pour la répression, pour l’imposition d’un ordre monolithique qui réprime la diversité, la contradiction, et l’expression libre.

Il est impératif, dans ce contexte alarmant, de se réarmer de notre droit inaliénable à la vie privée, à la liberté d’expression, à la dissidence. La révolution digitale, avec ses promesses infinies, ne doit pas devenir le cheval de Troie d’une ère de répression silencieuse et implacable. Notre vigilance, notre résistance, sont le rempart contre cette intrusion, ce vol de nos libertés fondamentales qui se déroule sous nos yeux, à chaque clic, à chaque partage, à chaque profil créé.

C’est un enjeu de société, exigeant un consensus global, pour que la technologie soit au service de l’homme, et non l’inverse.

Marianne Dabbadie