IA frugale

L’IA frugale, une transition indispensable

Une technologie vorace en ressources

L’essor de l’intelligence artificielle s’accompagne d’une consommation exponentielle d’électricité et de ressources naturelles. Derrière l’image d’une technologie immatérielle se cache une réalité bien plus tangible : les infrastructures qui soutiennent l’IA sont énergivores, gourmandes en eau et sources d’émissions de gaz à effet de serre.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) alerte : la consommation électrique des centres de données pourrait doubler d’ici 2026, dépassant 1 000 TWh, soit l’équivalent de la consommation annuelle du Japon. L’IA générative, en particulier, accélère cette explosion. Une requête sur ChatGPT consomme dix fois plus d’électricité qu’une recherche sur Google. Si, pour l’instant, l’IA ne représente qu’une part infime de la consommation mondiale (0,03 %), cette part pourrait croître de manière fulgurante.

Loin d’être un simple enjeu énergétique, la question de l’eau devient également centrale. Le refroidissement des serveurs mobilise des quantités d’eau considérables. Une étude de l’Université de Californie estime qu’une série de vingt-cinq requêtes sur ChatGPT représente un demi-litre d’eau douce. À grande échelle, cela devient un gouffre. Pendant ce temps, les émissions de gaz à effet de serre des géants du numérique explosent : +13 % pour Google entre 2022 et 2023, +48 % sur cinq ans. Microsoft n’échappe pas à cette tendance, avec une augmentation de 40 % en quatre ans.

Face à cette réalité, l’idée d’une IA frugale émerge comme une alternative.

L’IA frugale : utiliser l’IA autant que nécessaire, mais aussi peu que possible

Dans un monde où la tendance dominante consiste à tout automatiser sans discernement, l’IA frugale repose sur une approche radicalement différente : réduire la consommation de ressources et interroger la nécessité même d’avoir recours à l’IA.

Le CNRS définit cette frugalité comme une utilisation minimale des ressources, adaptée aux besoins réels. Contrairement à l’idée d’une IA omniprésente, cette approche repose sur une question fondamentale : l’IA est-elle vraiment nécessaire ? Dans les entreprises, les administrations, les collectivités, et même chez les particuliers, la norme est aujourd’hui l’automatisation systématique. Une habitude qui conduit à une fuite en avant technologique, où l’impact environnemental est rarement pris en compte.

Or, il est possible de concevoir des modèles d’IA plus sobres. Si l’IA générative est une immense consommatrice d’énergie, les modèles classiques offrent des performances similaires pour un coût bien moindre. Mieux encore, la compression des modèles d’IA permet de réduire leur empreinte sans altérer significativement leur efficacité. Un modèle de 45 Mo peut être réduit à 6 Mo, tout en maintenant un niveau de précision satisfaisant. Optimiser au lieu de surproduire : tel est l’enjeu de cette nouvelle approche.

Une vision portée par la France

Alors que les États-Unis et la Chine dominent la course à l’IA générative, la France entend prendre une autre direction. Plutôt que de rivaliser sur le terrain de la puissance brute, elle cherche à se positionner en pionnière d’une intelligence artificielle plus sobre et responsable.

À Lyon, le programme IA.rbre illustre cette volonté. Loin des applications consuméristes, cette initiative mobilise l’intelligence artificielle pour détecter les zones les plus propices à la plantation d’arbres, dans l’objectif de créer des îlots de fraîcheur en été. Une application concrète de l’IA au service des enjeux climatiques.

Mais au-delà des expérimentations locales, la France structure un véritable cadre de référence. En janvier 2024, un groupe de travail dédié à l’IA frugale voit le jour, réunissant scientifiques, administrations, entreprises et experts. De ces échanges naît, en juin 2024, le premier référentiel général pour l’IA frugale au monde. Un texte qui, bien que non contraignant, marque une étape décisive : désormais, les acteurs du numérique disposent d’une grille de lecture commune pour repenser l’usage de l’intelligence artificielle.

Un modèle pour l’Europe et au-delà

Cette initiative française ne reste pas isolée. Dès sa publication, le référentiel est porté devant les instances européennes, où il reçoit un accueil favorable. La réflexion sur la sobriété numérique entre ainsi dans le débat réglementaire, en complément de l’IA Act, cette législation adoptée par l’Union européenne en mai 2024 qui vise à encadrer l’intelligence artificielle.

D’ici 2026, l’application de cette réglementation imposera de nouvelles obligations aux entreprises du secteur. Dans cette dynamique, la France pousse à la création d’une coalition internationale pour une IA durable, réunissant États, industriels et chercheurs. L’objectif : ancrer cette réflexion à l’échelle mondiale et traduire ce principe de frugalité en actions concrètes.

Sortir de l’aveuglement technologique

Loin d’être un simple contre-discours, l’IA frugale pose une question essentielle : jusqu’où faut-il aller dans l’automatisation du monde ? Si l’intelligence artificielle n’est pas une menace en soi, son usage inconsidéré et incontrôlé l’est assurément.

Refuser de penser cette question, c’est accepter un modèle où l’innovation se fait au détriment des ressources et du climat. Réguler ne signifie pas freiner le progrès, mais lui donner une direction. Une direction qui permettrait de sortir de cette fuite en avant, d’interroger chaque usage, de prioriser la sobriété sur la surenchère.

L’IA frugale, ce n’est pas un retour en arrière. C’est un choix : celui de reprendre la main sur la trajectoire technologique au lieu de la subir.