
Contre-sommet Intelligence Artificielle, artistes et créateurs – source : Pixabay
Le lundi 10 février, un contre-sommet sur l’Intelligence Artificielle organisé par le philosophe Eric Sadin, s’est tenu au Théâtre de la Concorde, en présence la maire de Paris Anne Hidalgo. Ont été abordées des questions cruciales telles que les effets de l’Intelligence Artificielle Générative sur les métiers de la culture, de la communication, l’environnement, l’éducation ou encore le travail.
L’IA Générative, une simple évolution de la société ?
Il ressort des échanges, que l’histoire se répète toujours de la même manière. Des puissances économiques avancent leurs intérêts sous couvert de progrès technologique, pendant que les créateurs, les artisans du beau, du sensible, du singulier, voient leur travail vampirisé, broyé, réduit à une ressource exploitable gratuitement. C’est ce que dénonce avec force le contre-sommet de l’IA, où des artistes, comédiens, illustrateurs, réalisateurs et auteurs se lèvent d’une même voix contre ce qui s’apparente à une expropriation pure et simple de leur talent et de leur labeur.
Car il ne s’agit pas ici d’un simple bouleversement technologique, d’une évolution naturelle de la société, mais bien d’un pillage systématique, organisé par des géants technologiques qui entraînent la disparition des métiers du sensible tout en engrangeant des profits colossaux. L’IA générative ne se contente pas d’innover ; elle absorbe, digère et recrache le travail d’innombrables créateurs, souvent sans leur consentement, sans reconnaissance, sans rémunération.
Le pillage des œuvres et des voix : une dépossession brutale
Lorsqu’un illustrateur passe des années à développer un style unique, à aiguiser sa sensibilité, à façonner un univers personnel, comment peut-on tolérer qu’un algorithme, nourri de ses propres œuvres, puisse reproduire ce travail en quelques secondes et à moindre coût ? Lorsqu’un acteur de doublage, dont la voix est le fruit d’années de métier, voit une IA la cloner et la monétiser sans qu’il n’ait donné son accord, comment ne pas parler de vol pur et simple ?
Ce ne sont pas des craintes abstraites, des fantasmes de technophobes. C’est une réalité tangible, mesurable : des studios de production commencent déjà à remplacer les doubleurs par des clones vocaux numériques, des éditeurs utilisent des IA pour illustrer leurs publications au détriment des artistes, et les plateformes regorgent de contenus générés artificiellement, alimentés par des banques de données constituées sans aucun respect des droits des créateurs.
Une précarisation massive et un effondrement du sensible
Derrière cette logique se cache une double violence. D’abord une violence économique : en détruisant les métiers artistiques, en remplaçant la création humaine par des simulations froides et prévisibles, l’IA générative précarise des milliers de travailleurs de la culture, les réduit à l’impuissance et à l’invisibilité. Ensuite, une violence culturelle : un monde où l’art devient une simple fonction algorithmique, où la voix humaine est remplacée par des synthèses parfaites mais vides, où l’émotion est produite par des lignes de code, est un monde qui s’assèche, qui perd son humanité.
L’art, la création, ce sont des rencontres entre des âmes, entre des sensibilités qui se frottent au réel, qui l’interprètent et le transforment. Ce n’est pas un simple assemblage de probabilités optimisé pour plaire à un marché. Confondre les deux, c’est réduire l’art à une marchandise comme une autre, c’est nier la part de transcendance, de subjectivité et de vulnérabilité qui fait la beauté de l’expression humaine.
Face à la toute-puissance des multinationales, une riposte politique s’impose
Ce n’est pas aux créateurs de s’adapter à leur propre effacement. C’est à la société tout entière de se lever pour défendre ceux qui font encore de notre monde un espace de sens et d’émotion. L’IA générative ne doit pas être un champ de non-droit, une jungle où seuls les plus puissants prospèrent aux dépens de tous les autres.
Les métiers de l’art et de la communication ont besoin d’une réglementation forte, immédiate, pour garantir la protection des artistes et des créateurs. La transparence sur l’utilisation des bases de données utilisées pour entraîner ces intelligences artificielles devrait être exigée. Ne devrait-on pas, en outre, imposer des obligations de consentement et de rémunération aux plateformes qui exploitent ces technologies, et défendre un modèle où l’humain n’est pas réduit à une simple matière première pour les algorithmes ?
Car si nous ne faisons rien, si nous restons spectateurs de ce pillage, alors demain, les récits qui façonneront notre imaginaire, les images qui habiteront nos esprits, les voix qui porteront nos émotions ne seront plus le fruit d’une main humaine, mais d’une logique de marché, froide, standardisée, sans âme.
Alors la question est simple : voulons-nous encore d’un monde où l’art appartient à ceux qui le font, ou acceptons-nous qu’il devienne la propriété exclusive de ceux qui possèdent les machines ?
Les questions à se poser pour approfondir le débat
1. Impact sur les créateurs et le droit d’auteur
- Les IA génératives se nourrissent d’œuvres existantes pour produire du contenu. Peut-on parler de plagiat ou d’une simple évolution technologique ?
- L’IA remet-elle en cause la notion même de droit d’auteur ? Faut-il réformer la législation en profondeur pour protéger les créateurs ?
- Quels modèles de rémunération pourraient être mis en place pour assurer une juste rétribution des artistes dont les œuvres ont été utilisées pour entraîner ces modèles ?
- Comment garantir un consentement éclairé des créateurs sur l’usage de leur travail par l’IA ?
2. Menaces sur l’emploi et la précarisation des artistes
- Quels métiers de l’image et du son sont aujourd’hui les plus menacés par l’IA générative ?
- Peut-on imaginer un futur où l’IA remplacerait totalement certains métiers artistiques ?
- Comment éviter que l’IA ne devienne un outil de précarisation massive des travailleurs du secteur culturel ?
- Quelles protections sociales et économiques faut-il mettre en place pour accompagner cette mutation technologique ?
3. Qualité et valeur artistique face à l’automatisation
- Une œuvre générée par une IA peut-elle être considérée comme de l’art ?
- Y a-t-il une différence fondamentale entre une création humaine et une création algorithmique ?
- L’IA favorise-t-elle une standardisation des œuvres et une homogénéisation du paysage artistique ?
- Peut-on encore parler d’émotion et de subjectivité dans une production automatisée ?
4. Régulation et responsabilité des grandes entreprises technologiques
- Comment encadrer les entreprises qui développent ces IA pour éviter qu’elles ne s’approprient les œuvres des artistes sans contrepartie ?
- Faut-il instaurer une taxe sur l’IA pour financer la création humaine ?
- Les gouvernements ont-ils un rôle à jouer dans la régulation des outils d’IA, ou faut-il laisser le marché s’autoréguler ?
- Quelles mesures concrètes pourraient empêcher la concentration du pouvoir entre les mains de quelques grandes entreprises technologiques ?
5. Réactions et résistances du monde de la culture
- Comment les artistes peuvent-ils s’organiser pour défendre leurs droits face à l’essor de l’IA générative ?
- Quelles initiatives existent déjà pour contrer cette appropriation massive des œuvres par l’IA ?
- Doit-on boycotter les productions générées par IA pour défendre l’art humain ?
- Les artistes devraient-ils eux-mêmes utiliser l’IA pour en reprendre le contrôle et en faire un outil au service de la création plutôt qu’une menace ?
6. Éthique et philosophie de l’IA créative
- L’IA peut-elle être considérée comme un outil ou comme un concurrent direct de l’artiste humain ?
- Jusqu’où doit-on pousser le développement de l’IA dans le domaine artistique ?
- Sommes-nous en train de déshumaniser l’art en automatisant la création ?
- En quoi cette question dépasse-t-elle le seul cadre de l’art et touche-t-elle à la place de l’humain dans un monde de plus en plus automatisé ?