Sources : interventions de Anne Ferrer-Villeneuve, Directrice CHU de Montpellier : Professeur David Morquin, Directeur médical du centre ERIOS, Responsable de la stratégie IA au CHU de Montpellier ; Paul Rinaudo, Président et Fondateur de ADLIN Science ; Anwar Dahab,Vice-Président et Directeur Général de Dell France ; AdoptAI Grand Palais novembre 2025

À chaque conférence sur l’intelligence artificielle en santé, on entend les mêmes promesses : rapidité, diagnostics éclair, précision, cloud souverain, infrastructures massives. Le récit dominant est technologique, presque messianique. Pourtant, le CHU de Montpellier vient d’ouvrir une brèche dans l’imaginaire habituel. Leur stratégie n’est ni théorique ni futuriste. Elle part d’une décision simple, qui bouscule tout : l’IA ne commence pas par le code, mais par la conversation. En construisant leur propre IA sur site, en discutant d’abord avec leurs syndicats, en créant une école interne et en choisissant un premier cas d’usage d’empathie pure, ils montrent qu’une révolution peut être silencieuse, patiente, profondément humaine.

Ce qui se joue à Montpellier n’est pas une innovation “de plus”, mais un contre-récit. Cinq leçons émergent, suffisamment concrètes pour déranger tous ceux qui expliquent que “l’IA bouleversera la santé” sans jamais ouvrir un dossier patient.

1. L’IA reste locale pour conserver l’histoire vivante des données au CHU de Montpellier

Le CHU a fait un choix à rebours de la tendance. Plutôt que d’envoyer les données dans des nuages distants, ils ont construit un cluster « on-premise » entièrement maîtrisé. On pourrait croire que l’argument principal est juridique. Il est en réalité épistémologique. Paul Rinaudo l’explique : une donnée de santé n’a de valeur qu’avec son contexte. Qui l’a produite ? Dans quelles conditions ? Quelles autres informations l’entourent ? Préserver cet écosystème local, c’est garantir la fiabilité des modèles et éviter les illusions de précision. L’IA s’enracine, littéralement, dans l’hôpital.

2. L’IA n’économise pas du temps, elle rend du temps humain au CHU de Montpellier

La stratégie n’a pas été pensée pour “optimiser” les diagnostics ni pour faire briller des dashboards. Le premier objectif était beaucoup plus simple : libérer les soignants de la surcharge administrative. Diminuer les tâches annexes, réduire les écrans, augmenter les regards échangés avec les patients. L’IA n’est pas vue comme une machine intelligente, mais comme une technologie qui rétablit la relation. Un outil qui permet de transformer du “temps d’ordinateur” en “temps de conversation”. Une idée redoutablement pragmatique qui replace l’éthique au cœur du quotidien.

3. La transformation ne commence pas avec un algorithme, mais avec un dialogue social au CHU de Montpellier

L’expérience la plus déroutante est peut-être celle-ci : avant d’écrire une ligne de code, la direction a rencontré les syndicats. Ils ont parlé d’employabilité, de formation, de rôle, de responsabilités. Le CHU a même fondé une école interne pour s’assurer que personne ne soit laissé de côté. Plutôt qu’un changement subi, ils ont conçu un changement partagé, socialement acceptable et financièrement durable. L’IA, ici, n’est pas un objet technique mais un projet institutionnel.

4. L’avenir n’est pas le chatbot, mais l’agent d’assistance collaboratif au CHU de Montpellier

À Montpellier, on refuse d’appeler leur système un chatbot. Ils parlent d’agent. Un agent ne “discute” pas, il travaille à côté. Il s’intègre dans les processus, vient épauler, prévenir les erreurs, rédiger, documenter, orienter. L’objectif n’est pas de répondre à des questions, mais d’aider les humains dans leur raisonnement, de fluidifier l’écrit, d’améliorer la prise en charge et la circulation de l’information. C’est une vision sobre, mature, tournée vers l’utilité immédiate.

5. Le premier cas d’usage IA au CHU de Montpellier n’est pas technologique : il est empathique

L’essai clinique est révélateur. Plutôt que de commencer par un domaine prestigieux comme l’imagerie ou l’oncologie, ils ont choisi… la lettre de sortie aux urgences pédiatriques. Cent vingt familles, dont des enfants de sept ans, ont pu comprendre ce qui s’était passé, comment, pourquoi. Cette décision répond à un problème invisible, mais central : la mauvaise traduction des soins nuit à la sécurité. L’IA devient un facilitateur de confiance. Elle convertit du langage complexe en phrases qui apaisent. Elle répare un lien.

Une méthode, pas une expérimentation

L’insistance sur la réplicabilité n’est pas un détail. L’équipe ne cherche pas à briller, mais à donner un modèle exportable. Petit hôpital, grand hôpital, public ou privé : ce qui est possible à Montpellier devrait être possible partout. Toujours en commençant par le même réflexe : parler à ceux qui seront concernés. Trouver un premier cas d’usage simple, humain, mesurable. Concevoir localement. Former continuellement. Produire un système durable plutôt qu’un catalogue de solutions isolées, ces “plats de spaghettis” qui promettent beaucoup et transforment peu.

Si un CHU public peut mener une transformation aussi sobre, en misant sur la relation plutôt que sur l’effet vitrine, quelles excuses reste-t-il aux organisations qui parlent d’IA sans jamais parler de ceux qui, chaque nuit, soignent, rassurent, écrivent, expliquent et parfois s’épuisent ? Dans l’expérience de Montpellier, la technologie est un prétexte. Ce qui s’invente vraiment, c’est une façon différente de prendre soin.