L’Europe face à la transformation IA : ce que dit l’interview de Biljana Weber (Adopt-AI 2025)

L’analyse qui suit provient de l’interview de Biljana Weber, Senior Vice President and Managing Director for Northern Western Europe chez Hewlett Packard Enterprise (HPE), réalisée durant le Salon Adopt-AI 2025. L’insight essentiel qui ressort de cette conversation est que l’intelligence artificielle en Europe n’entre plus dans une phase expérimentale, mais dans un mouvement beaucoup plus exigeant où les dirigeants doivent cesser d’observer la technologie pour enfin transformer l’organisation. Ce moment d’inflexion n’a rien d’un effet d’annonce, il s’exprime dans les décisions stratégiques réelles que prennent aujourd’hui les entreprises qui veulent passer du pilote à l’adoption généralisée.

Une bascule stratégique : de l’expérimentation à l’intégration

L’Europe se trouve à un instant où l’IA cesse d’être un slogan pour devenir une infrastructure culturelle, économique et politique. Biljana Weber souligne combien les pays nordiques, avec un taux d’adoption doublé par rapport à la moyenne européenne, incarnent cette maturité opérationnelle alors que la France, pourtant brillante dans la recherche et l’IA souveraine, reste en retrait dès qu’il s’agit d’implémenter des solutions à l’échelle. On découvre ainsi une vérité souvent masquée dans les discours publics : ce qui manque n’est ni l’expertise, ni la technologie, mais la capacité organisationnelle à changer les habitudes, les procédures, et l’idée même que l’IA n’est pas une fonctionnalité de plus mais une modification profonde de la gouvernance.

Régulation et compétitivité : l’EU AI Act comme accélérateur

L’un des paradoxes les plus riches de cette interview est la manière dont Biljana Weber renverse l’argument dominant selon lequel les réglementations ralentissent l’innovation. L’EU AI Act ne serait pas un mur, mais un tremplin, parce qu’il crée une configuration où la confiance devient un avantage compétitif mondial. La vraie question n’est plus « la régulation va-t-elle freiner ? », mais « dans quelle mesure va-t-elle créer de la valeur ? ». Une IA développée selon les standards européens inspire immédiatement la crédibilité nécessaire pour être déployée à l’international. La souveraineté numérique se matérialise dans des projets comme Asgard, supercalculateur conçu pour le ministère des Armées avec HPE et Orange, qui montre que la sécurité et l’efficacité ne sont pas antinomiques, mais deviennent une stratégie d’État.

Le défi du passage à l’échelle : culture, confiance et transformation

L’adoption généralisée ne s’impose pas par décret, elle se conquiert par une transformation progressive et assumée des organisations. Les dirigeants n’ont plus peur de manquer le virage IA, ils craignent désormais de ne pas savoir faire absorber l’innovation à leurs équipes. Biljana Weber insiste sur le fait que seules les organisations qui mettent en place une gouvernance réelle, valorisant la qualité des données, la clarté des rôles et la transparence dans les processus, deviennent capables de dépasser les pilotes. Rester dans l’amélioration ponctuelle revient à préserver l’ancien monde, alors que viser la plateforme, la donnée gouvernée et la souveraineté revient à réinventer la manière de produire de la valeur.

Le réseau, angle mort stratégique et première condition de réussite

La partie la plus surprenante de l’interview est peut-être cette réflexion sur le réseau. Lorsque l’on parle d’IA aujourd’hui, tout le monde évoque la puissance de calcul, les GPU, les modèles, le cloud et la sécurité des données. Très peu évoquent la structure invisible qui permet à tout cela de fonctionner : le tissu réseau. Biljana Weber le formule avec une simplicité radicale en rappelant que le réseau n’est pas un fond technique, mais un système nerveux qui conditionne la latence, la sécurité, les flux et la qualité finale de la solution IA. Dans cette perspective, l’acquisition de Juniper par HPE devient un fait stratégique et non un simple communiqué financier. La performance de l’IA n’est pas seulement ce qui se passe dans les serveurs, mais ce qui circule entre eux.

Le choix qui reste : améliorer ou transformer

Tout se résume à un choix de leadership, et la formulation de la question dans l’interview est sans ambiguïté. Faut-il devenir ce dirigeant qui améliore les processus existants, ou celui qui transforme l’organisation pour en faire un acteur mondial crédible dans la décennie qui vient ? L’Europe ne manque pas de ressources ni de talents, elle manque de dirigeants convaincus que l’IA n’est pas un outil, mais une nouvelle manière de produire du sens, de la confiance et de la valeur. Comme le montre l’exemple d’Asgard et l’ensemble du raisonnement de Bijana Weber durant Adopt-AI 2025, le futur se joue dans l’intégration, dans la gouvernance, et dans la capacité à ne pas oublier ce qui relie tout.

Source : interview de Biljana Weber durant le Salon Adopt-AI 2025 (Senior Vice President and Managing Director for Northern Western Europe, Hewlett Packard Enterprise – HPE).

questions à se poser avant l'installation d'agents intelligents dans une entreprise

questions à se poser avant le passage à l’IA en entreprise

Questions à se poser pour les dirigeants

À ce stade, chaque organisation peut s’interroger. L’IA est-elle encore conçue comme un projet technique isolé, ou commence-t-elle à structurer une transformation plus profonde, pensée à l’échelle de toute l’entreprise ? Les données sont-elles traitées comme des ressources vivantes, avec une gouvernance claire, ou restent-elles un héritage désordonné que l’on tente d’exploiter ponctuellement ? Les décisions prises par le comité de direction intègrent-elles réellement le niveau de préparation des équipes, avec une vision sur la confiance, la compréhension et la montée en compétences ?

Il est également pertinent de se demander si le réseau est considéré comme un élément stratégique autant que les modèles et la puissance de calcul. L’organisation est-elle capable d’anticiper les enjeux de latence, de sécurité et de souveraineté qui conditionnent le succès réel des solutions d’IA ? Enfin, l’EU AI Act est-il perçu comme une contrainte à contourner ou comme un cadre permettant de créer de la valeur, de la confiance et un positionnement compétitif à l’échelle globale ?

Ces questions ne cherchent pas à produire des réponses immédiates. Elles indiquent un chemin, celui où les dirigeants ne se contentent pas d’améliorer l’existant, mais choisissent de transformer leur organisation pour entrer pleinement dans l’économie de l’IA de confiance.